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TEXTES ECRITS


La vie secrète de Walter Mitty de James Thurber par Mona

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28/02/2023
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Que savons-nous de la lecture ? 36 mots...quelques extraits - collection Ecla(t) - Valérie Delbore

 Se plonger dans la lecture

Il est étonnant d'employer le terme plonger, sommes-nous des sirènes?

 

Lecture silencieuse

Pas si silencieuse que ça. Des voix multiples se mêlent à la vôtre et vous ne pouvez plus vous en défaire.

Il faut fermer le livre !

 

Interprétation

L'écrit ponctué m'oblige décidément à respirer ; j'accompagne le souffle de l'écrivain. Donc, j'interprète ?

Les images surgissent du livre ; mon coeur bat ; je souris . Donc j'interprète ?

Le livre posé, je m'endors jumelée à l'histoire. Donc, j'interprète.

 

Lire à Voix Haute

C'est d'abord, debout ou assis, rendre sonore le corps d'un livre, le souffle d'une écriture. Et puis ensuite...

 

Ouvrir la porte d'un monde

J'enlève, je trouve cela nul, dit l'auteur.

Moi aussi, je suis d'accord, lui répond le lecteur.

 

Poser l'oeil sur un écrit

Je suis myope et, par exemple, il m'est difficile de poser l'oeil correctement sur une table, un peu lointaine. Par contre, si je le déplace sur un écrit, j'enlève mes lunettes et la page cadre ma pause oculaire. Du reste, en ce qui me concerne, le mouvement de gauche à droite me va très bien.

C'est drôle de poser son oeil rythmiquement. 

Je crois bien qu'il entend.

 

Rêve

C'est flotter un instant, avec bonheur, dans les limbes d'une pensée écrite,

pas toujours très claire, et que l'on veut faire sienne.

 

Silence

Je lis; quel apaisement de n'entendre que sa propre voix ! Et sournoisement, le miroir fantomatique d'une autre voix sonne en moi. La sienne, le sien, la mienne.

 

Solitude

Vient enfin le temps de s'isoler, d'entrer dans un monde écrit.

C'est alors qu'apparait délicieusement la solitude de l'écrivain qui me divertit de moi-même.

Et nos deux solitudes du moment se rejoignent le temps de tourner la page.

 

Songe

Certains écrits m'ont porté à des rêveries tout au long de la journée.

Je me faisais un autre moi-même, héroïque, vainqueur, colérique.

Ou bien : je parlais à voix haute en fusion à une pensée nouvelle.

Tout cela n'était que le songe de moi-même.

 

 


05/06/2020
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Camus, le coronavirus et nous de Mona

Camus, le coronavirus et nous.

 

La bourse ou la vie ? Choix tragique pour nos gouvernants : sacrifier l'économie pour sauver des vies humaines. Le chef de l'état avait pressenti le retour du tragique en confiant à la revue NRF en 2018 : « l'histoire que nous vivons en Europe redevient tragique ».

 

La tragédie du coronavirus a commencé avec le refus des autorités chinoises de reconnaître clairement le mal. L'épisode du docteur Li Wenliang, l'homme qui dit la vérité et risque sa vie donne à cette tragédie une dimension camusienne : « ce qu'il fallait faire, c'était de reconnaître clairement ce qui devait être reconnu et prendre les mesures qui convenaient » disait le narrateur de La Peste. Honte à la Chine donc.

 

Quant à nous autres occidentaux, notre hybris en prend un sacré coup. D'abord l'incrédulité, le déni (« Les fléaux, en effet, sont une chose commune, mais on croit difficilement aux fléaux lorsqu'ils vous tombent sur la tête »), puis un sentiment de panique : nos sociétés humanistes se croyaient libres. L'idéologie scientiste nous avait fait croire à notre libération définitive et nous voilà, à l'instar de trois milliards de confinés, obligés de vivre sous l'emprise d'un fléau : « Ils étaient humanistes : ils ne croyaient pas aux fléaux. Le fléau n'est pas à la mesure de l'homme, on se dit donc que le fléau est irréel, c'est un mauvais rêve qui va passer. Mais il ne passe pas toujours et, de mauvais rêve en mauvais rêve, ce sont les hommes qui passent, et les humanistes, en premier lieu, parce qu'ils n'ont pas pris leurs précautions. Nos concitoyens n'étaient pas plus coupables que d'autres, ils oubliaient d'être modestes, voilà tout ... Ils se croyaient libres et personne ne sera jamais libre tant qu'il y aura des fléaux ».

 

Vivre avec le fléau donc et les mesures de prophylaxie qui s'imposent : « Et alors que les uns continuaient leur petite vie et s'adaptaient à la claustration, pour d'autres, au contraire, leur seule idée fut dès lors de s'évader de cette prison … ils continuaient de faire les affaires, ils préparaient des voyages ». Le comportement des hommes ne change pas. On reconnaît nos casaniers du logis, ceux que le confinement vivifie et qui s'en forgent une fierté, comme nos petits malins qui sortent munis de plusieurs attestations ou alors ceux fuient vers leur maison de campagne. « Et ils avaient des opinions » ironise Camus sans oublier ceux qui manient la rhétorique aussi bien que l'eau de Javel, les « y a qu'à, c'est la faute à » (« leur première réaction, par exemple, fut d'incriminer l'administration »).

 

Vivre avec le mal, ce serait, comme dit Camus dans La Peste, vivre avec l'abstraction. En « exil chez soi », notre bonheur personnel mis en veilleuse pour le bien collectif. On ne connaît plus l'affinité des chairs, on vit séparés des êtres chers. Incapables d'accepter le virus comme réalité, bon nombre continuent d'imiter le père Paneloup et d'y voir une punition divine : le châtiment d'Allah envers les mécréants chinois d'après les mollahs ou contre les homosexuels selon les évangélistes chrétiens et ultraorthodoxes juifs. D'autres, des collapsologues aux idéologues d'extrême-gauche, en font la phase ultime du capitalisme néo-libéral. Camus s'en moque : « ils se scandalisaient abstraitement, en quelque sorte ... mais il importe peu que vous l'appeliez peste ou fièvre de croissance. Il importe seulement que vous l'empêchiez de tuer ».

 

Face au fléau, une nécessité, se coltiner avec des choses concrètes : lutte concrète dans le présent (« Pour le moment il y a des malades et il faut les guérir. Ensuite ils réfléchiront et moi aussi »), puis reconstruction concrète dans l'avenir. La métaphore de la guerre déplaît mais le parallélisme avec la guerre allait de soi pour Camus (« Il y a eu dans le monde autant de pestes que de guerres »). S'engager sur le front de guerre contre le coronavirus ne signifie pas fanfaronner devant les vaisseaux de la Marine à la manière de Trump. Contre le mal de l'abstraction, Camus rend hommage aux actions concrètes. Celle des soignants, leur dévouement pour combattre la maladie, trouver un sérum, isoler les malades, les guérir. Celle aussi des hommes ordinaires, leur vie au jour le jour en faisant preuve de solidarité humaine : « elle [=cette histoire] nous concerne tous ... parce que la peste devenait le devoir de quelques-uns, elle apparut réellement pour ce qu'elle était, c'est-à-dire l'affaire de tous. » L'irritation du docteur Rieux qui peste contre les atermoiements des « politiciens » (« Les mesures n'étaient pas draconiennes et l'on semblait avoir beaucoup sacrifié au désir de ne pas inquiéter l'opinion publique ») ou contre les contraintes administratives (« Il faut dire cependant que certaines modifications spécifiques du microbe ne coïncident pas avec la description classique ») résonne cruellement à l'heure des polémiques sur la gestion de la crise et sur la chloroquine. Eloge aussi de la rigueur intellectuelle : « reconnaître clairement ce qui devait être reconnu, chasser les ombres inutiles … appeler les choses par leur nom. » Les hommes se battent contre un virus d'origine animale, ni le premier coronavirus ni un virus créé## en laboratoire et Camus croit à la raison : c'est avec la raison que l'on triomphera des fake news.

 

Et l'après Covid-19 ? Des lendemains qui chantent ou qui déchantent ? Difficile de demeurer longtemps sous le charme du chant des oiseaux dans les villes ou des eaux cristallines à Venise sans affronter le principe de réalité : faillites d'entreprises, augmentation du chômage, récession économique ... Camus avait prédit le retour de la rhétorique : « Au commencement des fléaux et lorsqu'ils sont terminés, on fait toujours un peu de rhétorique ». Alors, chacun ira de son utopie : décroissance verte, patriotisme économique, démondialisation...

 

De ce mal sortira-t-il un bien ? « Tarrou pensait que la peste changerait et ne changerait pas la ville, que, bien entendu, le plus fort désir de nos concitoyens était et serait de faire comme si rien n'était changé, mais que, dans un autre sens, on ne peut pas tout oublier, même avec la volonté nécessaire, et la peste laisserait des traces, au moins dans les cœurs ». Le coronavirus laissera sans doute ses marques mais on sait aussi, hélas, que « la peste peut venir et repartir sans que le cœur des hommes en soit changé ». Se souviendra-t-on que le risque ne meurt jamais, que les victoires seront toujours provisoires « et que peut-être le jour viendrait où ... la peste réveillerait ses rats et les enverrait mourir dans une cité heureuse » ? « Rien n'est acquis » avertit le chef de l'état dans son discours.

 

Alors, il ne restera plus qu'à l'homme ordinaire d'affirmer avec Rieux « Ce que je hais, c'est la mort et le mal » et à l'écrivain d'aujourd'hui d'écrire son roman du coronavirus, autre moyen, fidèle à Camus, de lutter contre l’abstraction.

 

Mona

 

 

 

 


15/04/2020
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Un passé révolu...

Un passé révolu …

C’était, j’en garde le souvenir intact, un dimanche de novembre, en milieu de matinée, il y a un peu plus de 20 ans. Ce dernier jour de la semaine, plus que tous les autres, je l’ai toujours invariablement associé à une forme de vacuité existentielle, solidement arrimée au fil des ans.

Ce dimanche donc, avait commencé en parfaite cohérence avec ma vie d’alors, je veux dire, sur un mode insipide et ennuyeux. Comme d’habitude, je m’étais levé sans joie ni tristesse. Que pouvais-je désirer d’autre à cette époque ? Peut-être simplement de vivre en toute plénitude une forme de paix intérieure que rien ne viendrait perturber, et sans doute aussi, correspondre à cette image onirique récurrente de mon propre corps se laissant doucement flotter sur les ridules d’une mer morte.

Encore en pyjama, les cheveux en désordre, le visage assombri par une barbe de 3 jours, chaussé de mes vieilles pantoufles usées à la corde, et les yeux dans le vague, je déambulais à pas lents et indécis dans les 40 m² de mon appartement de banlieue. L’angoisse des dernières heures du weekend allait, je le savais d’expérience bientôt réapparaître et avec elle ses effets dévastateurs sur mon moral.

Je me souviens précisément que le lendemain était le jour anniversaire de mes 33 ans et passé l’orgueil amusé d’atteindre cet âge Christique, la perspective de devoir répondre aux vœux de mes parents et au plus, de 2 ou 3 autres personnes, suscitait en moi un réel mais indéfinissable désagrément.

Ma journée avait donc débuté comme j’en avais pris l’habitude : par une sorte de torpeur invalidante qui m’habiterait jusqu’au coucher. La seule chose à laquelle je devais veiller étant de ne surtout rien faire. Mais ce vide qui me satisfaisait si bien, la vie l’a en horreur et c’est sans doute ce qui décida le téléphone à sonner. A cette époque, il était encore filiaire et la présentation des numéros n’existait pas. Je ne voulus pas céder à cette entrée par effraction de mon domicile et qui plus est, un dimanche, alors que je croyais avoir fait le nécessaire pour n’attendre rien ni personne !

Aussi, Je décidai de ne pas répondre et de laisser la sonnerie retentir bien qu’elle fut très agressive à mes oreilles. Au bout d’une dizaine de drings elle s’arrêta et j’en ressentis comme un soulagement, une victoire sur la brutalité de la vie.

Mais ce répit fut bref car une poignée de secondes plus tard, la sonnerie reprit de plus belle et toute aussi agressive. Contraint, Je décrochai, prêt à en découdre avec l’importun, mais à l’autre bout du fil, je reconnus la voix de mon cousin Edmond, l’un des rares membres de ma famille avec qui j’avais gardé contact.

A son ton, j’éliminais de suite la mauvaise nouvelle qui arrivait souvent par téléphone et qui gentiment énoncée pouvait vous ficher la journée en l’air.

Comme à son habitude, Edmond, qui voulait toujours valoriser plus que de mesure son message, me dit sur le ton à la fois énigmatique et supposé supérieur de celui qui possède une information que l’autre n’a pas : Sylvain, je te passe quelqu’un dont la voix ne devrait pas t’être étrangère, à toi de voir !

A l’autre bout du fil, une personne que j’étais donc censé reconnaître, et paraissant toute aussi satisfaite d’elle-même qu’avait pu le paraître mon cher cousin. C’était une voix d’homme pareille à celle de millions d’êtres vivant sur la même « planète-terre » que moi et cela aurait probablement dû à ses yeux suffire pour que subitement, à l’emporte-pièce je le reconnaisse et lui tombe dans les bras, même si nous n’étions qu’au téléphone, envahi d’une irrépressible émotion. Mais cela ne se passa pas ainsi.

Agacé mais avec quelques résidus très anciens de courtoisie et aussi tempéré par la présence de mon cousin aux côtés de mon interlocuteur non encore identifié, je répondis que je ne voyais pas et que je n’étais pas vraiment dans les dispositions d’esprit, un dimanche, si tôt, pour me livrer à un tel exercice.

Intimidé m’a-t-il semblé alors par mon ton peu amène, l’illustre inconnu rompit très vite l’insoutenable suspense et se présenta. C’était Gérard, un ami d’enfance perdu de vue depuis belle lurette.

Gérard qui tenait une cordonnerie de quartier dans un arrondissement chic de Paris. En apparence très satisfait de sa réussite sociale, il m’abordait avec la petite pointe de suffisance bourgeoise de ceux qui partis de rien estiment être arrivés à quelque chose !

Ah Gérard, c’était effectivement une personne qui avait beaucoup compté quand j’étais adolescent mais, c’était si loin ! Tandis qu’il débitait ses âneries convenues sur le chemin parcouru, les souvenirs encore frais qu’il conservait de cette époque et les sentiments d’amitié qui nous unissaient, je pensais : Dois-je me réjouir de le voir ressurgir d’un passé tellement révolu ? A quoi bon nous remémorer ces temps anciens pour devoir ensuite constater effarés les cicatrices de la vie ? Gérard continuait de parler, il ne faisait que cela et ne cherchait même pas à me questionner. Sans doute, cela viendrait- il plus tard. Pour l’heure, il se déversait.

Plus il avançait dans son monologue, plus je me distançais de lui, au point de ne plus l’écouter qu’en fond sonore. Cela dura ainsi cinq bonnes minutes, quand je refis brutalement surface alors qu’il avait dû répéter 2 fois la proposition que je redoutais d’un rendez-vous pour déjeuner et parler de tout cela.

Sans réfléchir, je lui répondis que ce serait avec joie et impatience. Nous convînmes donc d’une date et d’un lieu et, pour sécuriser le tout, nous échangeâmes nos téléphones.

Dois-je dire que le numéro que je lui donnai était fantaisiste et que figurant dans la liste rouge du bottin, il n’avait qu’une chance très infime de pouvoir me retrouver. Je ne suis ni fier, ni heureux d’avoir pu échapper à cette rencontre dont je n’attendais rien car je sais par expériences qu’il peut être vain, voire douloureux de vouloir à tout prix courir après le passé. Certains fossés sont infranchissables et mieux vaut ne pas s’y risquer. Je crois avoir acquis sur ce registre, une certaine sagesse.

Il me reste une question : Pourquoi et comment ce court épisode de ma vie : l’appel de mon cousin et l’échange avec Gérard ont-ils refait surface et si longtemps après ? Faut-il y voir l’âge aidant, le désir de revisiter mon histoire, ou peut-être, moins incertain La prémonition de ma propre fin ? Les fouilles archéologiques ne sont pas ma spécialité mais je subodore qu’on n’échappe pas à une forme d’évaluation de son propre parcours, c’est à voir….

Sylvain Tahar

 


06/01/2018
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Le penseur de rodin ... suite et fin

...Une nuit, alors que je dormais profondément, je fus réveillé par une étrange sensation, un sentiment diffus d’une présence immatérielle dans ma chambre. Sans allumer de suite ma lampe de chevet, (je supporte mal l’éblouissement provoqué par le jaillissement de la lumière), je me mis à inspecter de mon lit l’espace intérieur de ma chambre dont je connaissais et pour cause, chaque détail.

Ma première impression, malgré l’obscurité, fut que rien n’avait bougé, tous les meubles étaient à leur place, aucun ne manquait. Mais, changement de taille, le rai de lumière du bas de la porte de ma chambre ne diffusait plus que partiellement sa lueur habituelle, en provenance du lampadaire de rue. Une présence inconnue, silencieuse, inquiétante et en tout état de cause intruse était donc postée en face de moi obstruant la porte.

Je me suis empressé de saisir l’interrupteur de ma lampe de chevet et bien sûr, je mis du temps à le trouver, en proie à un réel mouvement de panique. Quand enfin, je parvins à faire la lumière, je fus sidéré de reconnaître le Penseur, toujours dans cette même position réflexive que le monde entier lui connaît. Il me regardait sans me voir, avec cet air perclus de solitude et de perplexité tant attaché à son nom-titre. Il s’était débarrassé de sa sellette et en avait par la même profité pour prendre les centimètres qui lui manquaient pour recouvrer une taille humaine.

Le caractère surréaliste de cette visite dans ma chambre, au milieu de la nuit, m’a de suite installé dans l’atmosphère des films d’épouvante. Mais mes références étaient ailleurs et J’ai très vite pensé à la figure mythique venue d’outre-tombe du « Commandeur » qui provoqué par « Don Juan » s’est déplacé un soir, jusque chez lui, pour l’emmener aux enfers.

J’ai aussi éprouvé, à cet instant précis, le sentiment de vivre un moment d’une rareté historique irréfutable, comme il ne s’en produit que très exceptionnellement dans une existence. Je ne me sentais pas le droit de reculer devant cette porte ouverte à l’inconnu, à ce monde de l’invisible avec qui, disent certains, nous cohabitons sans nécessairement en avoir conscience. Du reste, ce qui m’arrivait, ne l’avais-je pas moi-même initié, en visitant si souvent le Penseur dans sa propre demeure ?

Passée la stupeur et le silence nécessaire pour reprendre mes esprits, passé aussi ce moment où je me suis convaincu d’être toujours vivant, ma voix que je ne connaissais plus émit presque inaudible, un pitoyable : « vous ? ». La réponse se faisait attendre, mais si le penseur avait fait le déplacement jusque chez moi, ce ne pouvait pas être pour prolonger son mutisme du musée, il devait certainement avoir quelque chose en tête, comment pouvait-il en être autrement ?

Sa visite, ça ne faisait pas l’ombre d’un doute, avait un objet mais il fallait s’en assurer. Avait-il décidé une fois pour toutes de se murer dans le silence et de me le signifier ? Dans l’affirmative, par quels moyens pouvais-je le dissuader de poursuivre sur cette voie ? A moins que… Il pouvait aussi nourrir une colère à mon égard, celle d’un être qui a perdu sa tranquillité, dont l’existence aurait été troublée, perturbée par la curiosité malsaine d’un visiteur en mal d’émotions et qui forcerait en dépit de toutes les règles de bienséance, le passage en des lieux strictement privés.

Cependant, au fur et à mesure que le temps passait, je reprenais confiance. S’il était venu pour se défaire de moi, il en aurait déjà largement eu le temps. Cinq bonnes minutes venaient de s’écouler depuis ma très pénétrante formule de bienvenue : « Vous ? ».

Son corps, inerte jusque-là, commença alors à donner des signes de vie intérieure. Il s’anima, d’abord imperceptiblement, puis avec ce naturel propre aux humains, il se déploya, confirmant par la-même son imposante stature. Le penseur était-il en train de me donner accès à cette relation tant recherchée ?

Mettant enfin un terme à un silence devenu insupportable, d’une voix lente et rocailleuse, le penseur commença à s’exprimer. D’abord, il me dit qu’il était né à Meudon, dans l’atelier d’artiste de son géniteur, que sa gestation avait duré plus de deux ans, Rodin ayant abandonné plusieurs fois son œuvre pour la reprendre ultérieurement. Le décès de son père survenu il y avait plus de 50 ans avait été très douloureux et il peinait aujourd’hui encore à s’en remettre. De plus, avoir dû quitter sa maison natale à Meudon pour la rue de Varenne n’avait pas arrangé son moral et il avait depuis sombré dans une forme de dépression que personne parmi les millions de visiteurs ou même les conservateurs du musée n’avait jusqu’ici décelée. Sa vie était donc confortable mais dénuée de sens.

Il y aurait, à l’écouter, beaucoup à dire pour informer le monde des vivants sur les duretés de la vie des œuvres qui ne sont ni tout à fait humaines ni tout à fait matérielles. Tandis qu’il me parlait, je vis une larme couler sur son visage. Elle avait la beauté scintillante d’une perle de rosée. Penseur ne chercha pas à la dissimuler.

J’étais ému comme jamais je ne le fus. J’étais en train de vivre à ce moment précis, la validation d’une conviction à la fois intuitive et poétique, qui envisage dans le sillage de Lamartine, que « les objets inanimés ont une âme qui s’attache à leur âme et leur donne la force d’aimer ».

Que pouvais-je lui dire ? Quel réconfort lui apporter, en dehors d’une écoute bienveillante et chaleureuse ? Nous en étions là, au bout de deux heures d’un échange inoubliable au cours duquel, Penseur s’était exprimé librement et avec force détails. 

Le silence de la nuit s’était à nouveau installé et je sentis confusément que notre échange était arrivé à son terme, qu’il nous fallait conclure, le jour n’allait pas tarder à se lever. Je lui proposai alors de devenir son ami pour toujours, son confident, son frère d’élection. Il accepta et avant de partir, il me fit la promesse que nous nous reverrions sans préciser ni dates ni lieux.

Penseur tint sa promesse et le fil du dialogue ne s’est jamais rompu entre nous. D’autres échanges, d’autres rencontres ont eu lieu, riches, chaleureuses et libres car toutes en dehors des contraintes du calendrier.

Jusqu’à ce jour de l’année dernière où victime d’un infarctus, je suis passé de l’autre côté, celui du royaume des morts et contre toute attente, Je m’y sens bien. Ce monde dit « des ténèbres » a pansé les blessures de ma vie terrestre et j’y trouve les espaces qui m’ont tant manqué de mon vivant. Ici, la matérialité n’a pas sa place et tout est virtuel donc possible. Les conflits n’ont pas lieu d’être et lorsqu’une ombre paraît elle se dissipe aussitôt par la force de l’esprit, car lui seul prévaut.

Aujourd’hui, pour en revenir à l’énigme de la création artistique à l’origine de ma rencontre avec Penseur, je sais la prévalence de la liberté. C’est elle qui délie l’artiste-créateur de ses contraintes et libère son esprit.

Le malheur de Penseur fut qu’on l’enferma dans une prison dorée habitée seulement par des morts qui l’étaient vraiment. Désormais, nous poursuivons nos rencontres, elles ont gardé le même intérêt des premières fois et ont gagné en spontanéité car nous sommes désormais du même côté de la barrière. Nous nous voyons quand nous en avons envie, toujours avec une joie profonde. Mais Penseur est resté prisonnier dans son musée et c’est peut-être dans cette direction qu’il faudrait rechercher le sujet de sa si longue et si mystérieuse réflexion.

 

Sylvain Tahar

 


02/01/2018
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